Adaptation au changement climatique : recherche appliquée à Chapelle Charbon

Ghislain Mercier (P&Ma), Loïc Chesne (Franck Boutté Consultants) et Mattéo Migliari (chercheur) exposent les premiers résultats de leurs travaux.
 

Le projet de recherche MESH 2C1 associe plusieurs acteurs dont P&Ma, Franck Boutté Consultants et l’École des Ponts ParisTech. Les projets Gare des Mines et Chapelle Charbon servent de support à cette recherche, qui vise en particulier à mieux comprendre les relations entre projet urbain et ressenti climatique, afin d’adapter les aménagements à un environnement plus chaud. L’aboutissement de ces travaux est un outil numérique puissant à l’usage des concepteurs.

1 MESH 2C (Morphology, Environment, Sustainability and Human comfort – City Climate) Projet sélectionné par l’ADEME dans le cadre de l’appel à projets de recherche MODEVAL-URBA (Modélisation et évaluation au service des acteurs des territoires et des villes de demain), 4e Édition 2019.
L’équipe : Franck Boutté Consultants, École des Ponts ParisTech, Echoes. Paris, Soleneos, P&MA

Entretien avec Ghislain Mercier, Loïc Chesne et Matteo Migliari

Respectivement responsable Ville durable et nouveaux services (P&Ma), directeur de projet de Franck Boutté Consultants et ingénieur et architecte, doctorant à l’École des Ponts ParisTech précisent les intentions du projet de recherche MESH 2C

À quelle question scientifique le programme MESH 2C entend-il répondre ?

LC Pour le dire de manière très synthétique, nous cherchons à évaluer le confort thermique généré par un projet dès ses premières étapes d’élaboration de manière à pouvoir orienter sa conception. Nous voulons aussi que ce processus soit très rapide, ce qui permettra de tester de très nombreuses formes.

Que faut-il entendre par confort thermique ?

MM L’objectif clé de nos travaux est de montrer comment les déterminants morphologiques d’un projet urbain peuvent modifier les conditions microclimatiques d’un site, ceci pour répondre à l’enjeu d’adaptation des villes au changement climatique. On raisonne généralement en termes de réduction de l’îlot de chaleur urbain2, mais ce concept trouve vite ses limites, notamment temporelles et spatiales. Temporelles parce qu’on tend à oublier les saisons – ce qui est un inconvénient l’été peut devenir un avantage l’hiver – et spatiales parce qu’on ne peut pas raisonner à l’échelle du quartier comme à celle de la ville. Mais plus généralement, quand on parle d’adaptation au changement climatique, la température n’est pas le seul facteur. Ce qui compte, c’est surtout le confort thermique ou, pour le dire autrement, l’état de satisfaction thermique des personnes exposées à un certain environnement. C’est une notion beaucoup plus complexe, au point que, dans la littérature scientifique des cent dernières années, plus de deux-cents indices de confort thermique ont été développés par de nombreux chercheurs.

Lequel de ces deux-cents indicateurs jugez-vous pertinent pour vos travaux ?

MM C’est toute la question ! Elle nous a beaucoup occupés au démarrage et nous lui avons consacré un premier article, en cours de révision [par la communauté scientifique, avant publication]. Il faut noter que seuls une vingtaine d’indices sont calculables par les outils numériques existants. Pour nos travaux dans MESH 2C, nous en avons retenu deux qui nous semblent les plus appropriés, l’UTCI et le PET3. L’UTCI est l’indice le plus précis pour le confort thermique extérieur. Il prend en compte toutes les grandeurs environnementales et climatiques, à savoir la température de l’air, son humidité relative, la vitesse du vent et la température moyenne radiante, mais aussi des éléments physiques liés aux personnes, notamment le métabolisme et l’isolation des vêtements. En revanche, cet indice n’est pas valable si la vitesse du vent est nulle. C’est une limitation importante étant donné la fréquence de cette situation en ville, où le vent peut être arrêté par les bâtiments. Mais le PET peut alors être utilisé à sa place.

LC C’est un point très important. En cherchant à construire un outil d’évaluation à haute fréquence du confort thermique d’un projet urbain à partir de sa morphologie et de sa matérialité, nous avons découvert que notre espace d’étude, celui de la modélisation des transferts thermo-aérauliques, n’était pas suffisamment structuré. Nous avons donc commencé par un travail d’identification et de classification des indicateurs du confort thermique, tâche indispensable pour développer une méthode rigoureuse d’évaluation et de modélisation. Ce travail fait l’objet du premier article produit dans le cadre de la thèse qui accompagne le projet MESH 2C.

Et l’aménageur, quels enjeux voit-il derrière cette recherche ?

GM Si, historiquement, comme tous les aménageurs, nous avons abordé le changement climatique par l’atténuation, en travaillant notamment sur la sobriété énergétique, c’est l’adaptation qui nous mobilise aujourd’hui de manière centrale. Le confort thermique de nos aménagements sous le climat futur suscite beaucoup d’attentes et de questions. Nous voulons donc mieux documenter nos réponses, affermir nos méthodologies, démontrer l’effet de nos choix sans nous contenter d’affirmer qu’on rafraîchit parce qu’on végétalise. Et, bien entendu, l’enjeu fondamental est de pouvoir intégrer cet aspect dans la temporalité même de la conception du projet et non pas ex post, quand les grands choix ont été faits.

Pouvez-vous évoquer quelques-uns des résultats obtenus ?

LC Les premiers résultats de nos travaux, comme nous l’avons dit, sont d’ordre méthodologique, aboutissant au choix des indices pertinents. Nous avons aussi modélisé le comportement thermique des matériaux à partir de leurs caractéristiques intrinsèques et de données microclimatiques. Et, après deux années de travail, nous sommes arrivés à des conclusions parfois contre-intuitives. Par exemple, la densité végétale n’est pas une garantie de confort thermique, car les masses végétales tendent à ralentir la circulation de l’air. La végétalisation n’est une solution que pour autant qu’on maintient une aérologie dynamique dans le tissu urbain, c’est-à-dire des couloirs de vent. Ce genre de résultat est très utile pour orienter l’implantation du végétal dans les projets.

Avez-vous d’autres exemples de résultats contre-intuitifs ?

MM Nous avons simulé la construction du projet Chapelle-Charbon pour comparer le confort thermique sur le site avant et après sa réalisation. On voit clairement l’impact de l’ombre portée des arbres et des bâtiments sur la température du sol et sur le confort thermique. Cela n’est pas étonnant. En revanche, la modélisation du comportement thermique des matériaux et sa traduction en indice de confort thermique ont donné des résultats que nous n’attendions pas. Ainsi, le fait d’utiliser des matériaux clairs ou de la peinture blanche dans l’espace public est généralement considéré comme une évidence pour rafraîchir les villes d’été : ils réfléchissent la radiation solaire plutôt que de stocker la chaleur. Mais ce que nous avons pu constater, c’est que ce sont alors les personnes qui circulent dans l’espace public qui absorbent cette radiation réfléchie par les matériaux, et ressentent plus de chaleur que si les surfaces étaient noires.

LC Nous avons été très étonnés de ces résultats – pourquoi alors toutes ces villes blanches sur le pourtour méditerranéen ? – et nous avons refait scrupuleusement les calculs, mais il n’y avait pas d’erreur. Et finalement, il n’y a pas de contradiction si l’on considère la morphologie de cet urbanisme de type médina. Les murs exposés au soleil en réfléchissent les rayons, mais ce n’est pas le cas des murs et des sols qui délimitent l’espace public : ceux-là sont dans l’ombre des bâtiments du fait d’un tissu urbain extrêmement serré.

Que faire de ces résultats ?

LC On aura intérêt à profiter de la capacité des surfaces sombres à capter et stocker le rayonnement solaire, en sachant qu’un espace urbain clair double grosso modo sa densité radiative par le phénomène de réflexion au sol. Cela suggère de gérer finement le choix des matériaux en fonction de leur exposition ou non au soleil.

MM Or c’est le contraire que l’on observe aujourd’hui, puisque les villes ont plutôt des chaussées sombres, qui stockent la chaleur en étant rarement traversées par les piétons, et des trottoirs plus clairs.

GM Cet exemple montre qu’on ne saurait se contenter d’approches grossières, par exemple en fixant un objectif d’albédo4 moyen. Mais pour cela, encore faut-il pouvoir s’appuyer sur des travaux sérieux, et nous sommes donc particulièrement satisfaits de contribuer à leur établissement. C’est d’autant plus nécessaire qu’un projet urbain doit composer avec mille exigences ou attentes parfois contradictoires : que certains choix puissent être éclairés par des données scientifiques est vraiment utile.

Une informatique de pointe qui donne des résultats contre-intuitifs : est-ce que cela renforce ou affaiblit la confiance dans l’outil ?

GM Un modèle numérique reste une représentation simplifiée de la réalité, qui sert à mettre en évidence des phénomènes en quelque sorte « chimiquement purs ». Sans prendre pour argent comptant tout ce que disent les modèles, on peut s’en servir pour enrichir la boîte à outils à disposition au moment de concevoir un projet. On n’est donc pas en train de dire que les modèles vont générer automatiquement des formes urbaines, mais qu’ils doivent être appropriés par les concepteurs.

Qu’est-ce que cela apporte à la démarche de recherche de travailler sur un vrai projet ?

LC Cela nous permet de simuler des situations microclimatiques au plus près de la réalité. Par exemple, pour estimer la température du sol, nous avons besoin de données d’entrée qui décrivent sa matérialité, c’est-à-dire la composition technique du complexe multicouche du sol, afin d’intégrer le comportement thermique de tous les matériaux. Ce sont ces données que P&Ma nous fournit et c’est tout l’intérêt d’un travail de recherche en prise sur un projet réel.

GM Ces données sont en grande partie des normes et des pratiques des constructeurs, qui semblent relever d’une connaissance triviale, mais pas pour des chercheurs, qui n’ont pas l’habitude de fréquenter ces métiers. Ils nous demandent de les aider à modéliser de la manière la plus fine et réaliste possible. Au fond, le rôle que j’assume dans le groupement est celui d’un pivot qui transmet les besoins de la recherche à l’écosystème des acteurs du projet, en traduisant les informations et les données sous des formes mutuellement compréhensibles.

MM L’intérêt de la réalité opérationnelle, c’est qu’elle vient « filtrer » la théorie pour se concentrer sur les plages réelles. Dans le modèle théorique, on est en quelque sorte dans un espace continu où tout est possible. Rien ne nous empêche de tester ce que l’on veut… Mais la valeur de l’étude est liée au réalisme des phénomènes qu’on décrit.

C’est donc une manière de réduire le champ des possibles pour travailler de manière plus efficace ?

MM Nous savons que les leviers les plus efficaces dont nous disposons sont ceux qui touchent à la température moyenne radiante, en jouant sur les couleurs des surfaces, mais plus encore en positionnant les bâtiments ou les arbres pour apporter de l’ombrage et protéger de la radiation solaire directe. On peut aussi faire varier la vitesse du vent par la création de couloirs de ventilation ou de barrières. Mais il y a des règles architecturales et urbaines très complexes à respecter, on ne peut pas faire n’importe quoi. C’est pour cela que le fait de partir d’un projet que l’on va pouvoir faire varier dans certaines limites nous aide beaucoup.

Ghislain Mercier, revenons sur votre rôle dans l’équipe…

GM C’est un rôle de pivot, comme je le disais à l’instant, mais aussi de moteur de recherche : je vais fureter dans la masse de données dont nous disposons sans toujours en avoir conscience. Pour prendre des exemples récents, j’ai transmis à l’équipe le catalogue des structures de chaussée de la Ville de Paris, ou encore les cahiers des charges relatifs au parvis de l’Arena dans la ZAC Gare des
Mines. Ceux-là éclairent notamment sur les normes qui régissent les écarts entre les végétaux, la géométrie des fosses d’arbres, etc. Toutes ces informations paraissent anodines à ceux à qui je les demande, mais ont une grande valeur lorsqu’il s’agit de modéliser l’espace.

Quel doit être l'aboutissement des travaux en cours ?

LC Nous avons encore douze à dix-huit mois de travail à partager ensemble dans le cadre de MESH 2C, et nous visons toujours la construction d’un modèle d’évaluation à haute fréquence pour proposer des familles de formes optimisées dès le démarrage de la conception du projet. Autrement dit, une entité numérique capable de faire de la morphogenèse, de l’évaluation et de l’optimisation. Mais ce travail aura forcément des prolongements au sein de la recherche générale sur l’adaptation de la ville au réchauffement climatique. Et cette capacité de morphogenèse pourra trouver d’autres terrains d’application : on pense évidemment à l’optimisation du bilan carbone d’un projet d’aménagement, à la fois dans sa conception et dans son fonctionnement.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

2 Les îlots de chaleur urbains sont des élévations localisées des températures, particulièrement les maximales diurnes et nocturnes, en milieu urbain par rapport aux zones rurales ou forestières voisines ou aux moyennes régionales.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

3 UTCI : Universal thermal climate index. PET : Physiological equivalent temperature

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

4 Mesure de la capacité des corps à absorber ou réfléchir la lumière, comprise entre zéro et un.