Performance énergétique : enseignements de Clichy-Batignolles

© Designers Unit

Prescrire des objectifs de performance énergétique et contrôler le respect des engagements jusqu’à la livraison des bâtiments est nécessaire mais non suffisant. Comment l’aménageur peut-il s’assurer que les objectifs seront bien atteints une fois les locaux occupés et gérés par leurs utilisateurs ?

Des objectifs à la réalité : enseignements de Clichy-Batignolles

À Clichy-Batignolles, les bâtiments ont été conçus pour atteindre une haute performance énergétique et consommer une énergie à 85% renouvelable grâce à la géothermie. Cela en fait l’un des écoquartiers européens les plus ambitieux. Or, ici comme ailleurs, les objectifs restent malheureusement théoriques, car les performances réelles sont en partie tributaires d’usages (réglages, comportements…) sur lesquelles ni l’aménageur, ni aucun autre acteur désigné n’a la main. C’est pour tenter d’apporter des solutions à cette limite structurelle des écoquartiers que l’expérience CoRDEES* a été menée, grâce à un financement de l’Union Européenne. Précisons qu’elle a été lancée en phase de construction, ce qui n’a pas permis de prendre en amont toutes les dispositions qui l’auraient facilitée. 

L’observation des performances

Recueil des données

La mesure des performances passe par un recueil des données de consommation mais aussi de production d’énergie (géothermie, photovoltaïque). Ce recueil a été effectué d’une part au moyen de capteurs posés dans 1 100 logements, d’autre part par la récupération de données auprès des fournisseurs d’énergie : la CPCU (Compagnie parisienne de chauffage urbain) et Enedis. Cette deuxième solution a donné lieu à des protocoles avec ces partenaires. Les données ont été regroupées sur une plateforme numérique et utilisées pour renseigner des indicateurs.

La production de chaleur

En moyenne sur l’année 2018, la chaleur apportée aux bâtiments a été à 76% d’origine renouvelable. Le taux d’énergies renouvelables utilisées par le réseau de chaleur est calculé en fonction de la répartition des quantités d’énergie apportées respectivement par la centrale de géothermie et par le réseau général de la CPCU qui l’alimente en appoint si nécessaire. L’objectif de 85% d’énergie renouvelable n’est donc pas encore atteint, mais les données recueillies et un audit diligenté par P&Ma ont permis d’identifier l’origine de cet écart, qui tient à un mauvais fonctionnement (réversible) des sous-stations de la boucle de chaleur alimentant les bâtiments1.

Utilisation d'énergie renouvelable

Schéma : dans la bulle blanche, il est écrit "OBJECTIF 85%", dans le rond jaune "CONCOMMATION REELLE 76%"
Schéma des objectifs de consommation © Unit Designer

 Les consommations

Les objectifs assignés à Clichy-Batignolles sont particulièrement ambitieux, y compris par rapport à d’autres écoquartiers. Aussi, si les consommations mesurées en 2018 n’atteignent pas encore les niveaux visés, elles montrent quand même des performances significatives. Les valeurs médianes relevées sur un panel de 17 bâtiments dont 12 résidentiels, se situent à : 

  • 49 kWh/m²/an pour le chauffage (objectif : 15) 
  • 34 kWh/m²/an pour l’eau chaude sanitaire (objectif : 20). 

Les consommations de chauffage représentent ainsi le quart de la moyenne nationale de celles des logements chauffés avec un réseau de chaleur (194 kWh / m² /an). C’est également le cas, dans des proportions moindres, pour l’eau chaude sanitaire. 

Les écarts par rapport aux objectifs peuvent avoir trois origines, que des analyses futures permettront de démêler : 

  • Un confort thermique supérieur à 19°C par choix des occupants. 
  • Un réglage inapproprié des installations de chauffage par les exploitants. 
  • Des défauts dans l’enveloppe thermique des bâtiments. Pour l’eau chaude sanitaire, des systèmes mal régulés ou des objectifs trop ambitieux par rapport aux usages.
Consommation d'énergie finale pour le chauffage en 2018, en KWh/m²/an. Comparaison de la ZAC Clichy-Batignolles, Grenoble Bonne, Lyon Confluence

Les champs d’action

Ces résultats confirment l’intuition de départ : la performance énergétique du quartier est déterminée d’une part par les caractéristiques physiques et techniques des bâtiments et des installations, d’autre part par les usages. Ces derniers jouent un grand rôle, notamment en ce qui concerne le réglage et l’entretien maintenance des installations. 

Le commissionnement des installations et équipements énergétiques

Sur le plan technique, il apparaît indispensable (pour de futurs quartiers) de prévoir un commissionnement. Le commissionnement se définit comme l’ensemble des tâches à accomplir pour mener à terme une installation neuve afin qu’elle atteigne le niveau des performances contractuelles et créer les conditions pour les maintenir2. On parle ici d’un commissionnement à l’échelle de l’ensemble des bâtiments et installations énergétiques du quartier débordant aussi longtemps que nécessaire sur la phase d’exploitation. 

La sensibilisation/responsabilisation des parties prenantes 

Sur le plan des usages, il n’est pas envisageable d’atteindre les objectifs de performance visés sans sensibiliser les très nombreuses parties prenantes à la nécessité et l’intérêt pour elles d’adopter des comportements ou de prendre des décisions responsables. Dans ce second champ d’action, moins balisé que le premier, se pose une première question : à qui confier cette mission, étant donné que l’aménageur sort du jeu après la livraison des bâtiments ?
 

Consommation de chauffage et eau chaude sanitaire sur 17 bâtiments en KWh/m²/an

La solution du facilitateur énergétique

À cette question, nous avons répondu – c’était l’objet même de l’expérimentation – en imaginant un nouvel acteur, que nous avons appelé facilitateur énergétique. 
Le facilitateur est une personne morale investie d’une triple mission : 

  • Collecter et analyser des données 
  • S’en servir pour mobiliser les parties prenantes 
  • Faciliter la réduction des écarts de performance par les mesures appropriées (logique de commissionnement voire de smart grid). 

Durant le temps de l’expérimentation, c’est l’équipe CoRDEES qui a endossé ce rôle. 
Nous avons eu de très nombreux échanges avec les propriétaires et occupants des bâtiments ou leurs représentants, afin de les sensibiliser et leur proposer de souscrire à des offres de service (voir ci-dessous). Cette expérience nous a permis de tester l’idée en situation réelle – à ceci près que les services étaient gratuits grâce au financement européen. Pour autant, le calendrier et le contexte de l’expérimentation, concomitante aux livraisons des bâtiments, ne permettaient pas de préfigurer entièrement le modèle du facilitateur énergétique.

Exemple de services pouvant être proposés par le facilitateur énergétique

 Une association pour poursuivre les travaux

L’idée du facilitateur énergétique est apparue suffisamment féconde pour inciter les partenaires à poursuivre leurs travaux dans le cadre d’une association créée à cette fin, le programme soutenu par l’Union Européenne s’achevant fin 2019. 

L’association CoRDEES se donne en particulier pour objectif de construire le modèle du facilitateur en définissant son périmètre d’action (territoire et services rendus), ses outils techniques, son modèle économique et son statut juridique.

L’une des questions posées réside dans le champ de compétence du facilitateur. 

  • La «facilitation» énergétique pourrait ainsi être l’une des missions d’un facilitateur-animateur multi-compétent, agissant également dans des domaines tels que les déchets, la biodiversité, l’alimentation, l’adaptation au réchauffement climatique… voire devenant une sorte de concierge ou de syndic de quartier. 
  • À l’inverse, le facilitateur pourrait rester spécialisé en énergie et trouver son équilibre financier en agissant non plus à l’échelle d’un quartier unique, mais de plusieurs, sur un territoire plus vaste. Il pourrait aussi se rémunérer par un intéressement sur les économies d’énergie qu’il permet de réaliser.

Première application à Saint-Vincent-de-Paul
Tout en poursuivant le travail engagé à Clichy-Batignolles, l’association se donne un second terrain d’expérimentation avec le quartier de Saint-Vincent-de-Paul. 

À titre conservatoire, Paris & Métropole Aménagement impose aux promoteurs du futur écoquartier : 

  • Une instrumentation des logements inspirée du label Ready 2 Services de Certivea, qui rend les bâtiments communicants au moyen de dispositifs ouverts et interopérables. 
  • Une obligation de commissionnement avec remise d’un rapport sur les performances énergétiques réelles du bâtiment deux ans après la livraison. Cette obligation est assortie de pénalités financières en cas de non-respect, au moyen d’un séquestre. 
  • Leur présence auprès des copropriétés après la livraison pour aider à la contractualisation avec le facilitateur, et le financement pendant deux ans d’un gestionnaire de quartier chargé de faire la pédagogie des questions énergétiques.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

CoRDEES, acronyme de Co-Responsibility in District Energy Efficiency and Sustainability, est une expérimentation en grandeur réelle portant sur le fonctionnement énergétique du secteur Ouest de l’écoquartier Clichy-Batignolles.

Piloté par La Ville de Paris, le projet CoRDEES a été subventionné par l’Union Européenne dans le cadre du programme Urban Innovative Actions (UIA), pour une durée 
de trois ans, soit jusqu’au 31/10/2019.

L’équipe CoRDEES réunissait :

  • La Ville de Paris
  • Paris & Métropole aménagement
  • Embix
  • Une autre ville
  • Mines ParisTech

Un rapport intitulé "Retour d’expérience" est téléchargeable sur le site cordees.paris

La température de l’eau qui retourne au réseau après avoir circulé dans les bâtiments reste trop élevée pour permettre le bon fonctionnement des pompes à chaleur. C’est particulièrement le cas durant les mois d’été.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Mémento du commissionnement, 2008, COSTIC, ADEME, FFB. 

 

Parties prenantes de la performance énergétique d’un écoquartier 

  • Aménageur     
  • Promoteurs
  • Investisseurs institutionnels et bailleurs sociaux 
  • Opérateurs de réseaux     
  • Gestionnaires de résidences     
  • Syndicats de copropriétaires et leurs syndics     
  • Exploitant de chauffage 
  • Entreprises utilisatrices de bureaux et commerçants   
  • Habitants et salariés