Stratégie énergétique pour un quartier post-carbone

Toitures du bâtiment PINARD - Opération Saint-Vincent-de-Paul
Toitures du bâtiment PINARD - Opération Saint-Vincent-de-Paul © Anyoji Beltrando

Dix ans après celle de Clichy-Batignolles, la stratégie énergie-carbone de Saint-Vincent-de-Paul réaffirme le haut niveau d’ambition de l’innovation urbaine à Paris. Une source inhabituelle d’énergie renouvelable a été choisie. La création d’un quartier post-carbone (hors transports) est engagée et une gestion participative de l’énergie à l’étude. 

Paris & Métropole Aménagement a adopté, en juillet 2018, avec la mairie de Paris, la stratégie énergie-carbone du projet Saint-Vincent-de-Paul. L ’étape suivante sera la contractualisation avec les opérateurs. L’expérience acquise sur Clichy-Batignolles, toutes proportions gardées, a nourri notre réflexion. Notre démarche, avec l’aide de notre AMO Une Autre Ville + Kairos Ingénierie + Amoès, a pris en compte les enjeux environnementaux, économiques et sociaux propres à toute stratégie de développement durable. Saint-Vincent-de-Paul étant un lieu d’expérimentation et d’innovation, il s’agit en particulier de tester des solutions reproductibles pour préparer la transition énergétique, valoriser les entreprises grand- parisiennes innovantes et conforter l’innovation sociale. Précisons que, globalement, les enjeux environnementaux du projet sont particulièrement élevés puisque nous visons « zéro carbone, zéro déchet, zéro rejet » en application notamment du Plan Climat parisien révisé en 2017.

Créer les conditions de la neutralité carbone

Quelle que soit la source d’énergie considérée – gaz, électricité, chaleur - viser la neutralité carbone c'est d'abord consommer le moins d'énergie possible grâce à des bâtiments très performants. Nous avons simulé les besoins énergétiques du quartier, en explorant deux hypothèses : la simple conformité à la réglementation thermique 2020 ; ou un niveau de performance bien supérieur, équivalent au label Passivhaus. Les gains obtenus dans la seconde sont substantiels, comme l’indiquent les schémas ci-dessous. Les besoins en énergie d’un appartement à Saint-Vincent-de-Paul, soit 75 kWh/m2, sont inférieurs de plus de la moitié à la consommation moyenne d’un appartement en France, soit 165 kWh/m21.
L’horizon de la neutralité carbone exige une rupture franche avec les pratiques usuelles, tant au plan de la conception architecturale que des modes constructifs. Elle implique, par exemple, de renoncer aux structures traditionnelles en béton, ou encore d’intégrer la perte de constructibilité liée à l’épaisseur des isolants. Elle nécessite de l’inventivité, les solutions techniques n’étant pas très nombreuses, notamment pour les complexes de façade, et demande beaucoup de rigueur dans l’exécution. Le surcoût de construction inhérent à la conception post-carbone dépendra fortement de la conception architecturale et technique des projets.

Scénario réglementaire 2020 et Scénario Post-carbone

1. Source : Centre d’études et de recherches économiques sur l’énergie (Ceren). Données sur les consommations du secteur résidentiel en 2016. Cette valeur est exprimée en énergie finale, tous usages confondus.

Choisir l'énergie renouvelable adaptée au contexte

Un autre objectif est d’utiliser 100 % d’énergies renouvelables à l’horizon 2050. À Paris, la géothermie constitue la principale source potentielle d’énergie renouvelable, mais son utilisation se heurte à la hauteur des investissements nécessaires. À Clichy-Batignolles, un concours de circonstance a permis qu’Eau de Paris participe à l’investissement, ses travaux étant doublement amortis du fait que le puits de captage dans l’Albien2 servait aussi à sécuriser l’approvisionnement en eau potable. Une telle opportunité ne se présente pas à Saint-Vincent-de-Paul, qui représente en outre un marché potentiel bien plus faible. Cette hypothèse a donc été rapidement écartée. Notre choix s’est porté sur une autre solution, originale, consistant à déployer une boucle locale avec production de chaleur par récupération d’énergie sur le réseau d’eau non potable (ENP), géré par Eau de Paris. Ce réseau transporte de l’eau prélevée dans la Seine, utilisée pour l’arrosage des espaces verts et le nettoiement des voiries. La température de l’eau, de 14°C en moyenne, suffit à alimenter une boucle d’eau chaude avec une pompe à chaleur, permettant de fournir 60 % de l’énergie thermique nécessaire. Le complément sera apporté par le réseau de la CPCU3.

Boucle d'énergie par récupération de chaleur - Exemple de Saint-Vincent-de-Paul, 2019
Boucle d'énergie par récupération de chaleur - Exemple de Saint-Vincent-de-Paul, 2019 © UNIT DESIGNER

1. Le réseau d'eau non potable (ENP) de la Ville de Paris est alimenté par l'eau de la Seine, via l'unsine d'eau non potable de Villejuif. 

2. La chaleur de ce réseau alimente une boucle locale. Elle couvre 60% des besoins thermiques du quartier. 

3. Le complément énergétique est fourni par le réseau de la CPCU, qui vise 100% d'ENR en 2050. 

Le réseau de la CPCU étant lui-même déjà alimenté à plus de 50 % par des renouvelables, environ 70 % de l’énergie thermique consommée à Saint-Vincent-de-Paul sera d’origine renouvelable dès la mise en service. Ce taux croîtra ensuite à mesure de l’augmentation de la part des renouvelables dans le mix du réseau de chaleur de la CPCU, qui vise 100 % en 2050. L ’option encore à l’étude d’une unité de microméthanisation expérimentale, pourrait compléter le mix. Par ailleurs, l’installation prévue de panneaux photovoltaïques en toiture couvrira une partie des besoins du quartier en électricité.

2. La nappe de l’Albien est une nappe d'eau située à plus de 600 m de profondeur dans une grande partie du bassin parisien.
3. La Compagnie parisienne de chauffage urbain (CPCU) est une société d’économie mixte chargé du chauffage urbain à Paris et dans plusieurs communes environnantes.
 

Evaluer le rapport coût-bénéfice de la solution

Le choix de la solution « eau non potable » a été fait après comparaison de 5 scénarios sur la base des émissions de CO2, du mix énergétique, mais également du rapport coût-bénéfice. Ce dernier calcul a été effectué en coût complet, c'est-à-dire en intégrant les investissements initiaux mais aussi les coûts d'approvisionnement énergétique, d'exploitation-maintenance, de gros entretien et de renouvellement, et enfin les coûts financiers, sur la durée de vie de l'installation.

La récupération d’énergie sur le réseau d’eau non potable est la solution ENR la plus performante. Elle permet de limiter les émissions de gaz à effet de serre au moindre coût (275 € / tonne de CO2 économisée avec le scénario post-carbone) pour un investissement d’à peine 25% supérieur à celui d’un simple raccordement au chauffage urbain.
 

Interroger la répartition des charges

Pour l’opérateur de la boucle et de la production de chaleur locales, le bilan intégrant l’amortissement de l’investissement et le résultat d’exploitation se traduira par un déficit car les investissements locaux seront conséquents alors que les recettes seront plafonnées au tarif unique appliqué à l’ensemble des clients du réseau de chaleur parisien. Pour les maîtres d’ouvrage, le choix d’une stratégie énergétique plus ambitieuse qu’une solution de référence au gaz en RT 2020 impliquera des surcoûts liés à la construction post-carbone, aux frais de raccordement à la boucle thermique locale et l’installation de panneaux photovoltaïques, de l’ordre de 140 € / m2. Pour les usagers, par rapport au même scénario de référence (gaz en RT 2020) et au tarif actuel du chauffage urbain parisien, l’économie de charges est évaluée à environ 150 € par logement et par an, en comptant les recettes tirées de la vente d’électricité produite par les panneaux photovoltaïques, l’approvisionnement en énergie et les frais d’entretien et maintenance.

Telles sont les bases à partir desquelles nous devons maintenant réfléchir au partage du coût global de la solution entre l’ensemble des parties prenantes. Plusieurs solutions sont possibles sur un plan purement arithmétique, c’est-à-dire sans se poser la question de leur acceptabilité : moduler les frais de raccordement à la boucle thermique, réévaluer le tarif acquitté par l’usager, faire porter une partie de l’investissement nécessaire par le bilan de l’aménageur, et, bien sûr, optimiser les coûts d’investissements et les charges d’exploitation.

Accompagner la mise en service du quartier

L ’expérience de Clichy-Batignolles nous a beaucoup appris sur le comportement réel d’un quartier livré. On mesure désormais l’importance de voir au-delà de l’aménagement et d’accompagner la mise en place des pratiques. Nous avons ainsi analysé les performances du réseau de chaleur basse température.

La géothermie, et il en ira de même de la chaleur récupérée sur les eaux non potables, demande une régulation importante ; elle compte beaucoup sur l’inertie et l’isolation du bâtiment, avec un temps de latence entre le réglage de la chaudière et l’atteinte de la température voulue. L’ignorance de ce principe, de la part des occupants comme des chauffagistes non formés, conduit à ouvrir les vannes à l’excès, avec des conséquences importantes pour les performances du réseau : l’eau revient trop chaude à la station de production géothermique, ce qui diminue le rendement des pompes à chaleur – qui fonctionnent d’autant mieux que l’écart entre la température de l’eau géothermale et celle du réseau n’est pas trop grand.

On voit par là que la maîtrise des consommations énergétiques passe aussi, et très largement, par la maîtrise des usages. À Clichy-Batignolles, nous créons une structure de facilitation dont l’objectif est de maximiser les performances environnementales du quartier en impliquant l’ensemble des acteurs concernés : les bailleurs, les copropriétés et leurs syndics, l’énergéticien, les chauffagistes et les usagers, les habitants ou les entreprises. L ’autofinancement de cette structure passera par une prestation de services auprès de ces différents groupes. Dans un premier temps, ce projet (CoRDEES4) bénéficie d’un financement européen.
De telles missions de facilitation sont d'autant plus faciles à mettre en œuvre qu'elles sont anticipées et que l'on peut associer les promoteurs immobiliers dès le début de l'opération. C’est ce que nous souhaitons faire à Saint-Vincent-de-Paul. Plusieurs hypothèses ont été explorées par Une Autre Ville :

  • Créer une société coopérative d’intérêt collectif assurant à la fois la production, la distribution de chaleur et la facilitation énergétique, à laquelle les bailleurs et les usagers auraient pu prendre part.
  • Ou bien adosser les missions de facilitation énergétique à un opérateur assurant d’autres missions d’intérêt commun dans le quartier.

Nous privilégions aujourd’hui la seconde hypothèse.

4. Acronyme signifiant Co-responsabilité dans l’efficacité et la soutenabilité énergétique d’un quartier.

Appel à contribution "solutions énergétiques innovante"

Au printemps 2017, P&Ma et la mairie de Paris ont lancé un appel informel à contributions portant sur des offres globales de fourniture, distribution, gestion et exploitation d’énergie. Un Meet Up a permis de mettre en contact tous les acteurs potentiellement intéressés afin qu’ils puissent se grouper pour proposer des solutions innovantes visant à développer la production locale d’énergies renouvelables et de récupération (EnRR), mutualiser la gestion du gaz ou de la chaleur à l’échelle du quartier, et faciliter l’autoconsommation d’électricité, la sobriété énergétique, le stockage, la limitation de la pointe électrique.

C’est dans ce cadre qu’Eau de Paris et la CPCU ont présenté la récupération de chaleur sur le réseau d’eau non potable5, solution retenue après comparaison de scénarios. Il est fort probable qu’aucun bureau d’études missionné dans une démarche classique ne l’aurait proposée a priori, car elle est inédite et suppose de connaître l’existence et le potentiel de ce réseau. Une solution de microméthanisation, en appoint, fait l’objet d’analyses complémentaires. Par ailleurs, nous gardons en réserve, pour des analyses ultérieures, un certain nombre de propositions relatives à l’exploitation énergétique, qui sont intéressantes mais n’appellent pas un choix immédiat, comme l’autoconsommation de l’électricité produite par les panneaux photovoltaïques.

« Les opérations d’aménagement constituent un terrain de choix pour tester, appliquer, diffuser les solutions promues par plan stratégique de Paris pour la ville intelligente et durable. Après l’appel à contributions “ solutions énergétiques innovantes ” qui a été très fructueux, l’ensemble de la démarche d’élaboration de la stratégie énergie-carbone de Saint-Vincent-de-Paul nous a apporté une matière précieuse pour notre futur schéma directeur des réseaux de chaleur et de froid. La gouvernance énergétique de quartier, abordée à Clichy-Batignolles avec le projet CoRDEES, est une question centrale et complexe, à laquelle nous allons nous atteler à Saint-Vincent-de-Paul. Nous savons aujourd’hui que seule une gouvernance structurée permettra aux parties prenantes de gérer les installations dans le sens de la sobriété nécessaire pour consommer moins d’énergie et atteindre nos objectifs de neutralité carbone. »  Pierre Musseau6.

5. Voir schéma de la Boucle d’énergie par récupération de chaleur en p.7.
6. Pierre Musseau, conseiller urbanisme / ville intelligente et durable au cabinet de Jean-Louis Missika à la mairie de Paris.